Partie 2 : Gérer le risque continu de fissuration des conduites d’alimentation à Point Lepreau

Les données sur les contraintes d’un réseau de conduites d’alimentation obtenues au moyen de faisceaux de neutrons aident Énergie NB à gérer les problèmes de fissuration et à prendre des décisions éclairées sur le calendrier de remise à neuf.

Centrale nucléaire de Point Lepreau. (Image : Énergie NB)

La gestion du risque de fissuration des conduites d’alimentation à la centrale de Point Lepreau de 2001 jusqu’à sa remise à neuf en 2008 s’est révélée complexe pour Énergie NB. D’une part, le coût de nombreuses activités destinées à gérer la menace était élevé. D’autre part, le coût de nouveaux arrêts imprévus ou de la prolongation d’arrêts planifiés était lui aussi considérable, notamment en raison du coût élevé de l’électricité de remplacement. Voici une illustration de l’ampleur des défis à relever :

  • La dégradation des conduites d’alimentation fut l’un des deux principaux facteurs motivant la décision de remettre à neuf la centrale trois ans plus tôt que prévu[1]; la dégradation des canaux de combustible constituait le deuxième facteur limitant la durée de vie de la centrale. Réduire de trois ans la durée de vie théorique de 28 ans d’une installation qui a nécessité un investissement de 1,4 milliard de dollars[2] représente un impact financier d’au moins 6 millions de dollars par an sur 25 ans;
  • La fissuration des conduites d’alimentation a provoqué deux arrêts forcés (90 jours au total en 1997 et 2001) et prolongé trois arrêts planifiés (13 jours au total, après 2001), occasionnant des coûts directs et indirects d’environ 60 millions de dollars;
  • Avant la décision prise en 2005 de remettre à neuf le réacteur de la CNPL, les activités de gestion du risque de fissuration et de maintien de marges de sûreté adéquates représentaient jusqu’à 5 % du budget total d’exploitation et d’entretien en 2005, soit quelque 5 millions de dollars par an[3],[4].
  • La radioexposition liée à l’inspection et à l’entretien des conduites d’alimentation représentait environ 30 % de l’exposition totale aux rayonnements liée aux arrêts.[3] Le personnel clé qualifié qui réalisait ces inspections atteignait les limites réglementaires et n’était donc plus disponible pour inspecter d’autres composants[5];
  • La fissuration des conduites d’alimentation a contribué de façon disproportionnée au risque total pour la sûreté de la CNPL et a accentué les préoccupations des instances de réglementation. En 2005, Énergie NB a signalé que de faibles marges dans les conduites d’alimentation les plus à risque et la fréquence de fissuration « pourraient augmenter la probabilité d’une rupture subséquente des conduites et des ruptures multiples des conduites en l’absence de mesures correctives. Le rapport de sûreté de la CNPL stipule que les événements de dimensionnement ne doivent pas évoluer en d’autres défaillances. »[3]
  • La crédibilité d’Énergie NB auprès des parties prenantes, y compris le public, a été mise à l’épreuve en raison des fissures récurrentes.

Énergie NB a mis au point un modèle financier comparant les stratégies de gestion des fissures : 1) recours à la détection des fuites, 2) inspection et réparation et 3) prévention des fissures par la réduction des contraintes ou le remplacement des tronçons de conduites d’alimentation les plus susceptibles de se fissurer[6]. En ce qui concerne les intrants à intégrer au modèle, Énergie NB avait besoin de prévisions fiables sur la fréquence des inspections nécessaires pour éliminer toute surprise et sur le nombre de conduites d’alimentation fissurées détectées lors des inspections pendant les arrêts.

Comme les contraintes élevées accélèrent la croissance des fissures, les mesures des contraintes constituaient l’un des facteurs nécessaires pour prédire ces paramètres clés. EACL a donc eu accès au CCFN à plusieurs reprises entre 2001 et 2005 pour examiner en détail les contraintes dans divers coudes d’alimentation semblables à ceux trouvés à la CNPL, et a fait appel à la modélisation théorique pour corroborer les résultats[7]. Parmi les principaux résultats obtenus à l’aide du modèle, mentionnons :

  1. La décision d’effectuer des inspections poussées pendant les arrêts planifiés plutôt que de mener un programme de R et D de 10 millions de dollars destiné à mettre au point des méthodes de prévention ou à élaborer un dossier de sûreté fondé sur la détection des fuites et un faible risque pour la sûreté;
  2. La décision de mobiliser des ressources importantes pour être en mesure de réparer deux coudes d’alimentation fissurés lors de tout arrêt annuel[8], évitant ainsi les entretiens non planifiés ou la prolongation d’arrêt lors de la détection de deux conduites fissurées en 2006[9];
  3. La capacité de consacrer des ressources d’inspection précieuses aux endroits les plus vulnérables aux fissures.

A posteriori, la stratégie d’Énergie NB s’est révélée efficace, puisque les dix fissures partielles survenues après 2001 ont toutes été détectées lors d’inspections planifiées, et que plusieurs autres conduites susceptibles de se fissurer ont été remplacées. Tous les coudes fissurés ont été systématiquement repérés à des endroits précis où une contrainte de traction résiduelle élevée avait été introduite lors de la fabrication du coude[9], confirmant d’autant plus l’importance de la contrainte comme facteur majeur de ces défaillances matérielles. Les scientifiques ont conclu que la fissuration était l’un des deux principaux modes de dégradation des conduites d’alimentation à la CNPL. Parmi les principaux facteurs de fissuration des conduites d’alimentation figurent les contraintes de traction résiduelles[10], l’écrouissage lors de la préparation et de l’entretien des matériaux, et la température en cours d’exploitation[1].

Au cours de la remise à neuf de la centrale, achevée en novembre 2012, toutes les conduites d’alimentation ont été remplacées. Le choix des matériaux, des méthodes de préparation et d’entretien des nouvelles conduites d’alimentation visait à réduire les contraintes et à limiter l’amincissement de la paroi des conduites d’alimentation, de sorte que la fissuration des conduites d’alimentation ne devrait plus constituer un facteur limitatif de la vie utile[1].

Sans les données sur les contraintes obtenues du CCFN, Énergie NB aurait peut-être dû compenser le manque de compréhension scientifique de la fissuration par la prise de décisions encore plus conservatrices, comme le début de la remise à neuf avant 2008, ou la réduction considérable du cycle d’exploitation pour faciliter les inspections approfondies, l’une ou l’autre de ces décisions entraînant des coûts beaucoup plus élevés.

L’article suivant examine l’impact sur le reste du secteur et la manière dont le CCFN a contribué aux mesures prises pour répondre aux inquiétudes suscitées par la fissuration.

Suite : Partie 3 : Garantir les exportations, renouveler le permis du parc de réacteurs et qualifier l’innovation

Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.

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Notes de bas de page

[1] Slade et Gendron. A Last Look At PLGS Life-Limiting Feeder Degradation. 8e Conférence sur l’entretien des réacteurs CANDU. 2008.

[2] Le coût de construction initial de la CNPL s’élevait à 1,4 milliard de dollars et la construction a été achevée en 1983. (Roger Steed. Nuclear Power: In Canada and Beyond. 2006).

[3] John P. Slade, Tracy S. Gendron. Risk-Reduction Strategies used to Manage Cracking of Carbon Steel Primary Coolant Piping at the Point Lepreau Generating Station. 12th International Conference on Environmental Degradation of Materials in Nuclear Power Systems – Water Reactors, Salt Lake City, É.-U., The Materials, Metals & Materials Society. Août 2005.

[4] Le budget d’exploitation, d’entretien et d’administration de la CNPL en 2005 se chiffrait à environ 125 millions de dollars. Énergie NB. Rapport annuel 2005-2006. http://www.nbpower.com/html/en/about/publications/annual/NBPAnn_05-06.pdf. Toutefois, il convient aussi de noter que la référence suivante indique que le coût permanent dans le budget d’exploitation et d’entretien est de 3 % : K. P. Stratton. Life Extension at the Point Lepreau Generating Station – Powering the Future. Proceedings of the International Conference on Opportunities and Challenges for Water Cooled Reactors in the 21st Century. 2009. http://www-pub.iaea.org/MTCD/publications/PDF/P1500_CD_Web/htm/pdf/topic4/4S02_K.%20Stratton.pdf.

[5] K. P. Stratton. Life Extension at the Point Lepreau Generating Station – Powering the Future. Proceedings of the International Conference on Opportunities and Challenges for Water Cooled Reactors in the 21st Century. 2009. http://www-pub.iaea.org/MTCD/publications/PDF/P1500_CD_Web/htm/pdf/topic4/4S02_K.%20Stratton.pdf.

[6] L’évaluation financière d’Énergie NB des différentes stratégies de gestion du cycle de vie reposait sur les hypothèses suivantes : « La centrale a une durée de vie restante de 10 ans avec des arrêts annuels aux fins d’entretien; le taux de défaillance des conduites d’alimentation est de 1,5 par an; un arrêt forcé dû à une fuite durerait 30 jours; et la réparation des conduites d’alimentation fissurées détectées par inspection prolongerait les arrêts planifiés de 10 jours. En ce qui concerne l’analyse des méthodes de prévention, on a supposé qu’il faudrait au moins cinq ans et 10 millions de dollars pour la recherche, le développement et la mise en œuvre. » D’autres intrants économiques, comme l’entretien et les coûts de l’énergie de remplacement relèvent d’Énergie NB. John P. Slade, Tracy S. Gendron. Risk-Reduction Strategies used to Manage Cracking of Carbon Steel Primary Coolant Piping at the Point Lepreau Generating Station. 12th International Conference on Environmental Degradation of Materials in Nuclear Power Systems – Water Reactors, Salt Lake City, É.-U., The Materials, Metals & Materials Society, août 2005.

[7] Yetisir, Donaberger, Rogge. Residual Stresses in CANDU Feeder Bends – Effect of Bend Radius. PVP2006-ICPVT11-93407.

[8] « Cette éventualité prévoyait les éléments suivants : formation complète, qualification et mobilisation des équipes de réparation avant l’inspection, et activités de réparation pour deux conduites d’alimentation dans le programme d’arrêt détaillé, soit environ six jours de plus que la durée de l’arrêt. » Tracy Gendron, John Slade et Glenn White. Pinpointing cracks. Nuclear Engineering International. Janvier 2007.

[9] Tracy Gendron, John Slade et Glenn White. Pinpointing cracks. Nuclear Engineering International. Janvier 2007.

[10] « Il convient de noter ici que la contrainte résiduelle ne constitue pas le seul facteur de contrainte dans la fissuration des conduites d’alimentation, mais bien le facteur de contrainte le mieux connu jusqu’à présent. Le fait qu’une seule centrale CANDU sur sept dotées de coudes d’alimentation cintrés à chaud ait présenté des fissures dans les coudes d’alimentation indique que d’autres facteurs de contrainte comme les propriétés chimiques et matérielles locales, les contraintes en cours d’exploitation et l’âge contribuent à la fissuration. » Yetisir, Rogge, Donaberger. The effect of manufacturing process on residual stresses of pipe bends. PVP2005-71581.

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