Le Canada participe à Mission Innovation, un engagement multinational associé à l’Accord de Paris de 2015 sur le changement climatique. Les membres de Mission Innovation prévoient de doubler les investissements dans la recherche et le développement en matière d’énergie propre en l’espace de cinq ans. Ces recherches comprennent des études qui contribuent directement à l’avancement de technologies énergétiques spécifiques telles que les turbines éoliennes, l’énergie nucléaire et les véhicules à hydrogène. (Pour une description de la manière dont les faisceaux de neutrons contribuent à certaines de ces recherches, voir d’autres articles sur l'énergie propre).
Mission Innovation comprend également la « recherche énergétique fondamentale », qui vise à définir les bases scientifiques générales sur lesquelles les progrès en matière d’énergie propre pourront s’appuyer à l’avenir. La recherche fondamentale est particulièrement importante lorsqu’il s’agit de nouveaux matériaux que les chercheurs du monde entier produisent régulièrement. La communauté scientifique doit acquérir une compréhension fondamentale des propriétés sous-jacentes de ces matériaux avant de pouvoir évaluer correctement leur potentiel d’application, que ce soit dans le domaine de l’énergie ou dans d’autres domaines. Au cours de ces recherches fondamentales, les scientifiques utilisent toute une série d’outils de pointe, notamment des faisceaux de neutrons, pour apprendre tout ce qu’ils peuvent sur chaque nouveau matériau et sur la manière dont ils pourraient un jour être utilisés pour améliorer notre quotidien.

Certains de ces nouveaux matériaux appartiennent à une famille connue sous le nom de « pérovskites », qui sont souvent utilisées dans des applications d’énergie propre. Le nom fait référence à l’arrangement périodique des atomes qui définit la structure de la pérovskite. Leur structure est l’un des facteurs qui confèrent aux pérovskites d’excellentes propriétés pour convertir la chaleur résiduelle en énergie utile, afin de faciliter les réactions chimiques et de stocker l’électricité. C’est pourquoi les pérovskites sont souvent utilisées dans les piles à combustible, des dispositifs qui créent de l’électricité à partir d’une réaction chimique, produisant souvent de l’eau comme sous-produit.
Les professeurs Mario Bieringer, de l’Université du Manitoba, et John Greedan, de l’Université McMaster, sont deux chercheurs qui mènent des recherches fondamentales sur de nouveaux matériaux de la classe des pérovskites. Les deux chercheurs utilisent les faisceaux de neutrons du Centre canadien de faisceaux de neutrons (CCFN), entre autres outils, pour mener à bien leurs recherches, car la diffraction des neutrons est l’un des principaux moyens de « résoudre la structure » (c’est-à-dire de déterminer avec précision l’arrangement des atomes) d’un matériau.
L’équipe de recherche du professeur Bieringer a étudié le cérate de baryum (BaCeO3), un composé pérovskite qui, lorsqu’il est dopé, convient pour conduire les ions hydrogène dans les piles à combustible afin de produire de l’électricité propre. « Comprendre les détails des structures de ces matériaux et leur stabilité à haute température est essentiel pour optimiser les performances des matériaux des piles à combustible à oxyde solide en raison de leur température de fonctionnement élevée, qui peut atteindre 1 000 °C », explique Bieringer.

En 2010, en utilisant les rayons X pour étudier le cérate de baryum dopé à l’indium (In), l’équipe de recherche du professeur Bieringer a observé un changement chimique inattendu dans le matériau sur une plage étroite de hautes températures. Deux autres groupes de recherche avaient déjà observé que le cérate de baryum pouvait absorber certains atomes d’un récipient en platine (Pt), un élément fréquemment utilisé comme catalyseur dans les piles à combustible. Cependant, très peu de données étaient disponibles sur le nouveau matériau formé, à savoir le Ba2CePtO6, et sur son comportement dans différentes conditions.
Pour combler cette lacune, l’équipe de Bieringer a utilisé des faisceaux de neutrons au CCFN ainsi que des rayons X pour étudier plus en détail la structure du cérate de baryum sous l’influence de deux dopants différents. Ils voulaient en particulier déterminer l’impact de ces dopants sur la formation du Ba2CePtO6.
Les résultats, publiés en 2014, ont démontré que l’arrangement des atomes dans le Ba2CePtO6 forme un motif connu sous le nom de « double pérovskite ». Ils ont également montré que certains Ba2CePtO6 se formaient indépendamment du dopant utilisé, de la quantité de dopant utilisée ou même de l'absence de dopant. Des informations ont également été obtenues sur la voie chimique du composé. Plus précisément, les résultats suggèrent que le Ba2CePtO6 pourrait être un état intermédiaire dans lequel le platine aide à former la structure pérovskite dans le cérate de baryum dopé, ce qui est souhaitable pour les applications de piles à combustible. DOI:10.1021/ic501510u
Comme Bieringer, Greedan a également étudié la structure de nombreuses pérovskites. L’un de ces matériaux, le SrFeO2F, est un type de pérovskite connu sous le nom d’« oxyfluorure cubique ». Les oxyfluorures peuvent être utilisés pour produire des lentilles de verre luminescentes, qui ont le potentiel de rendre les lampes DEL à économie d’électricité plus simples et moins coûteuses à fabriquer, tout en offrant un meilleur contrôle de la couleur de la lumière que les DEL actuelles.
Pour poser les bases de l’exploitation du potentiel des oxyfluorures, les scientifiques doivent d’abord caractériser leur structure. Cela implique de résoudre non seulement leur structure atomique, mais aussi leur structure magnétique (c’est-à-dire le schéma directionnel des minuscules champs magnétiques associés aux électrons du matériau), car ce schéma joue un rôle essentiel dans la détermination des propriétés magnétiques et électriques du matériau.

Poussés par une série de questions ouvertes publiées par d’autres chercheurs sur la structure du SrFeO2F, Greedan et son équipe ont entrepris d’en savoir plus sur ce composé. Ils ont procédé à l’exploration systématique du matériau à l’aide de neutrons au CCFN, la diffraction des neutrons étant le meilleur moyen d’étudier la structure magnétique d’un matériau.
Ainsi, après avoir effectué une série de mesures à des températures allant de -270 °C à 500 °C, l’équipe de Greedan a pu résoudre la structure magnétique du matériau tout en contribuant à résoudre certaines des questions en suspens concernant sa structure atomique. Elle a publié un article sur cette structure en 2014, puis un autre en 2015, dans lequel elle fait état d’améliorations supplémentaires. Son étude exploratoire lui a également permis de mieux comprendre comment les structures atomiques et magnétiques agissent ensemble pour produire des propriétés observables. DOI:10.1016/j.jssc.2014.07.019
Bien que rien ne garantisse que le SrFeO2F ou le Ba2CePtO6 joueront un rôle dans les technologies propres du futur, les études pionnières menées par Bieringer et Greedan ont permis de recueillir des données fondamentales sur ces nouveaux matériaux. Sans ces recherches fondamentales sur l’énergie, la communauté scientifique ne disposerait pas d’une base solide de connaissances sur laquelle fonder la recherche et le développement futurs. En effet, la recherche fondamentale d’aujourd’hui ouvrira la voie aux technologies énergétiques propres de demain, ainsi qu’à d’autres applications que nous ne sommes peut-être même pas encore en mesure d’imaginer.
Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.
