Les faisceaux de neutrons aident à surmonter les obstacles qui entravent la mise au point de batteries plus sûres et de meilleure qualité pour les véhicules électriques

Après le recours aux faisceaux de neutrons pour mieux comprendre les matériaux nécessaires à un stockage énergétique plus sûr, les chimistes de l’Université de Calgary et leurs collègues à l’échelle internationale ont pu faire la démonstration d’un prototype de batterie au rendement nettement amélioré.

Image : Les grandes batteries des véhicules électriques stockent une quantité considérable d’énergie; il faut donc intégrer la sécurité au cœur de leur conception. (breakingenergy.com)

« La technologie que nous avons créée permettrait d’obtenir des batteries au lithium tout solide absolument stables, robustes, sûres et puissantes pour le stockage énergétique futur. »

Les véhicules électriques promettent de révolutionner les transports, mais il faut d’abord concevoir des batteries plus sûres et plus performantes pour concrétiser ce potentiel. L’un des principaux défis consiste à trouver un électrolyte moins dangereux pour les batteries utilisées dans les voitures « vertes ». En effet, les batteries lithium-ion utilisées dans les véhicules électriques et hybrides rechargeables aujourd’hui (ainsi que dans les appareils électroniques portables) contiennent généralement des liquides inflammables comme électrolyte; de ce fait, un défaut de fabrication peut entraîner des risques d’incendie.

Bien que le risque de dommages soit faible, il peut s’ensuivre des pertes financières considérables. Par exemple, on estime que le rappel en octobre 2016 des téléphones intelligents Galaxy Note 7 de Samsung en raison de la combustion de la batterie a coûté au moins 5,3 milliards de dollars à l’entreprise. Bien que de tels rappels se produisent rarement, si des problèmes de sécurité similaires étaient évoqués à propos des batteries des véhicules électriques, il en coûterait encore plus cher aux constructeurs automobiles.

Outre leur inflammabilité potentielle, les batteries lithium-ion affichent une mauvaise stabilité chimique, ce qui limite leur durée de vie. De plus, leur tension de fonctionnement limitée réduit la quantité totale d’énergie qu’elles peuvent stocker.

Le professeur Venkataraman Thangadurai, chimiste à l’Université de Calgary, travaille sans relâche pour pallier les faiblesses des batteries lithium-ion actuelles. Thangadurai est directeur associé du Calgary Advanced Energy Storage & Conversion Research (CAESR), un centre technologique de l’Université de Calgary dont l’objectif est de réduire les émissions de gaz à effet de serre sur deux fronts : d’une part, par la conception de meilleures batteries pour le stockage d’énergie propre et, d’autre part, par l’avancement de technologies telles que les piles à combustible, qui convertissent en énergie des combustibles propres comme l’hydrogène.

Thangadurai à l’œuvre dans son laboratoire de recherche de l’Université de Calgary. (Image : Riley Brandt, Université de Calgary)

Thangadurai et ses collègues de l’Université du Maryland ont récemment mis au point une batterie bouton au lithium, ininflammable, chimiquement stable et fonctionnant en toute sécurité à des tensions plus élevées que les batteries lithium-ion existantes. « La technologie que nous avons créée permettrait d’obtenir des batteries au lithium tout solide absolument stables, robustes, sûres et puissantes pour le stockage énergétique futur », explique Thangadurai.

L’une des principales caractéristiques de la batterie de Thangadurai est un électrolyte composé d’une céramique solide appelé « électrolyte de grenat riche en lithium ». Ce matériau tire son nom du grenat, car ses atomes sont agencés selon un motif particulier, appelé « structure cristalline », similaire à la structure cristalline de la pierre précieuse.

Illustration d’un électrolyte de grenat riche en lithium (Li) dans une batterie rechargeable au lithium tout solide. Une électrode se compose de lithium métal, tandis que l’autre se compose d’oxyde de lithium et de cobalt (LiCoO2). L’électricité est produite par la migration des électrons (e) dans le circuit externe en réaction au mouvement des ions lithium (Li+) à l’intérieur de la batterie. (Image : Université de Calgary). Discharge = décharge; U-rich Garnets = grenats riches en lithium

Les électrolytes de grenat sont connus pour leur excellente capacité à conduire des atomes chargés électriquement (c.-à-d. des ions) tout en restant chimiquement stables lorsqu’ils sont en contact avec du lithium métal pur. Cette stabilité chimique revêt une grande importance, car le lithium est extrêmement réactif, à tel point que sa forme pure n’existe pas dans la nature. « Comme la découverte des électrolytes de grenat remonte à plus de dix ans, ils ont fait l’objet de nombreuses recherches fondamentales visant à comprendre et à améliorer les mécanismes à l’origine de leurs propriétés physiques et chimiques attrayantes pour les batteries », explique Thangadurai.

Le groupe de recherche de Thangadurai a joué un rôle important dans nombre de ces études exploratoires sur les électrolytes de grenat riches en lithium. En effet, son équipe a cherché à en apprendre le plus possible sur ces nouveaux matériaux céramiques prometteurs au moyen de diverses approches expérimentales, notamment en sondant les matériaux à l’aide de rayons X et de faisceaux de neutrons.

« Les faisceaux de neutrons sont nécessaires pour approfondir nos connaissances sur la structure des matériaux afin d’en comprendre le rendement fonctionnel. »

« Les faisceaux de neutrons sont nécessaires pour approfondir nos connaissances sur la structure des matériaux afin d’en comprendre le rendement fonctionnel, explique Thangadurai. Les faisceaux de neutrons sont particulièrement importants pour vérifier la présence d’ions lithium et de protons [c.-à-d. d’ions hydrogène chargés positivement] et leur emplacement dans la structure cristalline. » Comme les atomes d’hydrogène - les plus petits atomes du tableau périodique - peuvent facilement se cacher dans un matériau composé d’atomes beaucoup plus gros, ils sont souvent invisibles aux rayons X (mais toujours détectables au moyen de neutrons).

Dans une étude exploratoire, l’équipe de Thangadurai a cherché à comprendre une observation plutôt étrange au sujet des électrolytes de grenat : l’exposition à l’humidité de l’air entraîne des changements dans le rendement du matériau. Des études antérieures avaient en effet montré que les ions hydrogène de l’humidité ambiante pénétraient dans la céramique et déplaçaient certains des ions lithium du matériau, mais les scientifiques ne savaient toujours pas comment les ions hydrogène se comportaient à l’intérieur du matériau, ni même comment sa structure cristalline était touchée.

Pour cerner l’impact que ce déplacement atomique pourrait avoir sur l’utilisation d’électrolytes de grenat riches en lithium dans les batteries, Thangadurai s’est associé à des chimistes de l’Université de Birmingham, au Royaume-Uni. Ensemble, ils ont eu accès aux faisceaux de neutrons du Rutherford Appleton Laboratory du Royaume-Uni pour comprendre comment réagirait un électrolyte de grenat riche en lithium (dans ce cas, Li5La3Nb2O12) exposé à l’humidité.

À gauche : Illustration d’une structure cristalline de grenat, composée d’octaèdres (violet) et de tétraèdres (bleu). (Image : Joseph Smyth) À droite : Illustration d’une partie de la structure cristalline du Li5La3Nb2O12, où une partie du lithium (sphères bleu foncé et bleu clair) a été déplacée par de l’hydrogène (sphères violettes). L’octaèdre d’oxygène (sphères rouges) autour du lithium est visiblement déformé par rapport à sa configuration géométrique normalement parfaite. (Image: doi:10.1039/c3ta13005c)

En plus de confirmer l’incorporation des ions hydrogène dans le matériau, l’équipe de Thangadurai a aussi déterminé la position exacte de ces ajouts d’hydrogène dans la structure atomique du matériau. Plus particulièrement, l’équipe a observé que l’hydrogène changeait effectivement de place avec le lithium, mais bien que l’hydrogène ait quelque peu déformé la structure, les caractéristiques essentielles du matériau en matière de transport ionique (c.-à-d. production d’électricité) n’ont pas changé.

Ces observations passionnantes ont amené les scientifiques à conclure que les propriétés électriques de l’électrolyte de grenat résultaient en fait du mouvement des ions lithium et des ions hydrogène à travers le matériau. Les constatations de l’équipe ont été publiées en 2013 (doi:10.1039/c3ta13005c), accompagnées de données indiquant que, bien que la capacité du matériau à transporter les ions hydrogène ait été quelque peu réduite comparativement à sa capacité à transporter les ions lithium, sa conductivité est restée à un même ordre de grandeur élevé.

Au lieu de voir cette permutation entre le lithium et l’hydrogène comme un inconvénient, l’équipe de Thangadurai a proposé la possibilité intrigante de créer de nouveaux électrolytes de grenat qui exploiteraient pleinement cette capacité à transporter des ions autres que le lithium pour produire de l’électricité. En vue d’améliorer les propriétés souhaitables de ces matériaux tout en éliminant les propriétés indésirables, les scientifiques ont modifié le matériau utilisé dans leur étude de 2013 en y ajoutant du calcium et du zirconium. Ce nouveau matériau (Li7La2.75Ca0.25Zr1.75Nb0.25O12) a notamment présenté une stabilité accrue ainsi qu’une meilleure capacité de transport ionique. De plus, sa température de frittage était plus basse, ce qui a facilité le travail des scientifiques et qui facilitera celui des futurs fabricants de batteries.

Cependant, les électrolytes de grenat posaient encore un problème majeur aux scientifiques : en effet, l’espace (c.-à-d. l’interface) entre ces électrolytes céramiques solides et les électrodes lithium métal solides de la batterie constituait une entrave à la conductivité des ions. Lorsque Thangadurai et ses collègues de l’Université du Maryland ont entrepris de résoudre ce problème, leurs travaux ont débouché sur une avancée majeure.

« L’équipe de Thangadurai a essentiellement éliminé cet obstacle. »

Dans des travaux de recherche publiés dans Nature Materials - l’une des principales revues scientifiques de chimie - en mai 2017 (doi:10.1038/nmat4821), l’équipe de Thangadurai a essentiellement éliminé cet obstacle par l’ajout d’une couche ultramince d’oxyde d’aluminium entre leur nouvel électrolyte et l’électrode de lithium métal. Bien que cette couche ne fasse que quelques nanomètres d’épaisseur, elle a permis d’accélérer la charge et de rehausser le rendement global, deux améliorations qui ont considérablement accru la capacité de stockage énergétique et la tension de fonctionnement du prototype de batterie par rapport aux batteries lithium-ion commerciales existantes qui utilisent toujours des matériaux inflammables comme électrolytes.

D’autres groupes de recherche ont aussi utilisé des électrolytes de grenat pour fabriquer des batteries au lithium, mais « nous avons démontré qu’il était possible d’utiliser le lithium métal de façon très efficace, avec la résistance de transfert de charge la plus faible à l’interface entre l’électrode de lithium et l’électrolyte de grenat », explique Thangadurai.

« Les faisceaux de neutrons constituent l’un des outils dont nous aurons encore besoin pour développer les technologies de conversion et de stockage d’énergie, qu’il s’agisse de piles à combustible ou de batteries. »

L’équipe compte maintenant augmenter la taille de sa batterie et étudier la stabilité à long terme de ses matériaux. Thangadurai estime qu’il faudra environ cinq ans pour mettre au point une batterie au lithium tout solide à l’échelle commerciale qui intègre sa technologie.

Dans l’intervalle, « les faisceaux de neutrons constituent l’un des outils dont nous aurons encore besoin pour développer les technologies de conversion et de stockage d’énergie, qu’il s’agisse de piles à combustible ou de batteries », note Thangadurai, « car les neutrons sont essentiels à la détermination des structures cristallines, à la compréhension de la réactivité chimique d’électrodes potentielles ou à l’observation du mouvement ionique dans les matériaux ».

Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.

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