Les faisceaux de neutrons facilitent les recherches sur la technologie de l’hydrogène pour le transport durable

Les camions, trains, navires et avions de demain pourraient être alimentés par une technologie propre de l’hydrogène déjà existante, et les découvertes canadiennes en physique pourraient contribuer à rendre cette technologie durable encore plus sûre et plus efficace.

Image : Toyota a déjà fait la démonstration de camions de transport alimentés à l’hydrogène. (Toyota.com)

La technologie de l’hydrogène est reconnue depuis longtemps comme un élément important de tout avenir énergétique propre en raison de sa durabilité et de son faible impact sur l’environnement. En effet, la combustion de l’hydrogène comme carburant ne produit que de l’eau, qu’il suffit de reconvertir en hydrogène.

« Bientôt, personne ne pourra concevoir la vie sans la technologie de l’hydrogène. »

- Takeshi Uchiyamada, président de Toyota Motor Corporation

Les promoteurs de la technologie de l’hydrogène estiment qu’elle est particulièrement utile pour intégrer à grande échelle des sources d’énergie renouvelable. Par exemple, l’hydrogène peut atténuer les fluctuations saisonnières de l’approvisionnement énergétique, notamment en stockant une partie de l’énergie solaire produite pendant les mois d’été pour l’utiliser l’hiver. L’hydrogène peut aussi remplacer les combustibles fossiles dans les applications industrielles difficiles à électrifier, et il se transporte facilement dans les endroits qui ne sont pas reliés au réseau électrique.

Les technologies de l’hydrogène peuvent faciliter la transition vers un avenir énergétique propre en remplaçant les combustibles fossiles dans sept domaines importants de l’économie, y compris les exemples mentionnés dans le texte principal : atténuer les fluctuations saisonnières de l’approvisionnement énergétique (1), transporter l’énergie vers des endroits non reliés à un réseau (2), remplacer les combustibles fossiles dans le secteur des transports (4) et dans les applications industrielles (5). (Image : Hydrogen Council). Energy carrier = vecteur énergétique; Hydrogen = hydrogène; Sources of energy = sources d’énergie; Backbone of energy system = infrastructure du système énergétique; End uses = utilisation finale; 1. Permettre une intégration efficace et à grande échelle des énergies renouvelables; 2. Distribuer l’énergie entre les secteurs et les régions; 3. Servir de tampon pour accroître la résilience du système; 4. Décarboniser les transports; 5. Décarboniser la consommation énergétique industrielle; 6. Servir de matière première à l’aide de la capture du carbone; 7. Contribuer à décarboniser le chauffage des bâtiments

Voilà pourquoi des leaders de l’industrie comme Takeshi Uchiyamada, président de Toyota Motor Corporation, figurent parmi les plus ardents défenseurs de cette technologie. « La technologie de l’hydrogène bénéficie du vaste soutien nécessaire à sa mise à l’échelle », a affirmé Uchiyamada en parlant du rôle de l’hydrogène dans une économie durable. « Bientôt, personne ne pourra concevoir la vie sans la technologie de l’hydrogène. »

Toyota fait partie du tout nouveau Conseil de l’hydrogène, un consortium industriel de 24 membres lancé en 2017 qui investira plus de 10 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années dans le développement et le déploiement de la technologie de l’hydrogène. La participation de Toyota au consortium n’est pas surprenante, car l’industrie automobile s’intéresse particulièrement au déploiement de cette technologie comme moyen de décarbonisation du secteur des transports.

Quand il s’agit de réduire les émissions liées au transport, les batteries (p. ex., les batteries lithium-ion) ont eu une longueur d’avance sur le marché des voitures électriques. Toutefois, les piles à hydrogène sont plus prometteuses pour les plus gros véhicules, comme les camions de transport. Les batteries nécessaires pour alimenter un transport à pleine charge sur une longue distance représenteraient plus de 50 % de la limite de poids autorisée du camion, ce qui laisserait moins de la moitié de sa capacité pour les marchandises.

« Les scientifiques doivent perfectionner le mode de stockage de l’hydrogène en vue de son exploitation dans les applications de transport. »

Toyota a fait la démonstration d’un tracteur-remorque qui résout ce problème de poids grâce à une pile à hydrogène qui recharge son unique batterie en cours de route. Cependant, ces camions - qui transportent des conteneurs à destination et en provenance de deux ports californiens très achalandés depuis octobre 2017 - n’effectuent que de courts trajets vers les entrepôts et les gares de triage à proximité, car leur capacité de ravitaillement est fortement limitée par la disponibilité des stations de ravitaillement en hydrogène.

Il n’y a pas que Toyota qui cherche à mettre sur la route des camions à hydrogène. Nikola Motor Company a récemment dévoilé un véhicule de transport de 18 roues alimenté à l’hydrogène, d’une autonomie de près de 2000 kilomètres, et l’entreprise a l’ambitieux projet de construire des centaines de stations de ravitaillement en carburant à travers les États-Unis.

Par conséquent, il n’est pas étonnant que les scientifiques doivent perfectionner le mode de stockage de l’hydrogène en vue de son exploitation dans les applications de transport. Aujourd’hui, les véhicules à hydrogène stockent l’hydrogène dans des réservoirs à haute pression. Bien que la sécurité de ces réservoirs soit comparable à celle des réservoirs à essence, la communauté de recherche entrevoit la possibilité d’éliminer complètement tout risque d’incendie ou d’explosion en stockant l’hydrogène dans un matériau solide. Si cette solution est mise en œuvre, elle réduira la nécessité de pressuriser l’hydrogène et minimisera l’espace occupé par le système de stockage de l’hydrogène dans le véhicule, ce qui pourrait réduire le coût du transport à l’hydrogène.

Jacques Huot, professeur de physique à l’Université du Québec à Trois-Rivières, est l’un des scientifiques qui souhaitent en savoir plus sur les matériaux qui pourraient faire du stockage de l’hydrogène solide une réalité. Huot collabore avec Julien Lang, chercheur aux Laboratoires nucléaires canadiens (LNC). Ensemble, ils étudient les hydrures métalliques, une classe de matériaux susceptibles de satisfaire aux normes de rendement des systèmes de stockage d’hydrogène établies par le ministère de l’Énergie des États-Unis.

« Les hydrures métalliques sont une classe de matériaux susceptibles de satisfaire aux normes de rendement des systèmes de stockage d’hydrogène établies par le ministère de l’Énergie des États-Unis. »

Plus particulièrement, Huot et Lang étudient l’alliage connu sous le nom d’hexahydrure de magnésium et de fer (Mg2FeH6), qui possède la densité d’hydrogène par volume la plus élevée de tous les matériaux connus – elle est même supérieure à celle de l’hydrogène pur! En fait, un réservoir rempli d’hydrogène liquide pur (qui doit être refroidi à -253 °C) ne contiendrait que la moitié des atomes d’hydrogène que contient le même volume de Mg2FeH6 solide. Cette forte densité d’hydrogène permet aux scientifiques d’espérer que le Mg2FeH6 puisse permettre aux véhicules de transport de stocker suffisamment de carburant pour des trajets au long cours.

Bien des scientifiques ont tenté de comprendre les processus chimiques en jeu dans l’absorption et la libération de l’hydrogène dans les hydrures métalliques, comme le Mg2FeH6. Toutefois, cet axe de recherche se heurte à de nombreux obstacles. Tout d’abord, il est difficile de fabriquer du Mg2FeH6, car le magnésium et le fer sont comme l’huile et l’eau : ils se mélangent mal. En outre, il peut se révéler difficile de cerner avec précision le rôle de l’hydrogène au cours d’un processus chimique, car les atomes d’hydrogène sont les plus petits de tous les atomes et peuvent donc aisément passer inaperçus aux rayons X et dans la plupart des autres sondes scientifiques lorsque de plus gros atomes de métal les entourent.

Illustration du Mg2FeH6, composé d’atomes de fer (en vert), de magnésium (en jaune) et d’hydrogène (en blanc). (Image : Lang)

Huot avait étudié par le passé diverses méthodes de synthèse du Mg2FeH6, chacune produisant des résultats variables en matière d’efficacité du processus de formation du Mg2FeH6 et de propriétés ultérieures d’absorption et de libération du matériau. Comme la clé de la conception d’un système de stockage d’hydrogène efficace à base de Mg2FeH6 peut se cacher dans les processus chimiques à l’œuvre lors de la synthèse et des étapes ultérieures d’absorption et de libération, Huot devait trouver un moyen d’élucider ces processus.

Pour l’aider dans cette tâche, il a fait appel à Julien Lang, alors stagiaire postdoctoral, qui travaillait sous la supervision d’Helmut Fritzsche, scientifique au LNC. Lang se spécialise dans le recours aux faisceaux de neutrons pour comprendre les méthodes d’absorption et de libération d’atomes d’hydrogène par les matériaux. Les faisceaux de neutrons se prêtent parfaitement à l’étude du rôle de l’hydrogène dans les matériaux, car les neutrons sont en mesure de détecter des atomes de diverses tailles, aussi petits soient-ils. Par ailleurs, il est possible de renforcer le contraste entre l’hydrogène et les atomes environnants en remplaçant l’hydrogène normal par du deutérium, une forme d’hydrogène qui ne diffère que par la présence d’un neutron dans le noyau atomique. De la sorte, les faisceaux de neutrons voient encore plus facilement les atomes d’hydrogène.

« Les faisceaux de neutrons se prêtent parfaitement à l’étude du rôle de l’hydrogène dans les matériaux, car les neutrons sont en mesure de détecter des atomes de diverses tailles, aussi petits soient-ils. »

Lang a fait appel au Centre canadien de faisceaux de neutrons pour réaliser une série d’expériences (avec de l’hydrogène normal, du deutérium, ou un mélange des deux) afin de définir les signatures de l’hydrogène dans le matériau à différents stades de la formation du Mg2FeH6. Fait important, les données neutroniques ont permis à Lang et à Huot de déterminer les phases (c.-à-d. les configurations spatiales des atomes de magnésium, de fer et d’hydrogène) présentes à chaque étape du processus de formation du Mg2FeH6 .

Les résultats ont confirmé une hypothèse formulée lors de recherches antérieures menées par Huot qui donnait une idée du mécanisme de formation du Mg2FeH6. De plus, les résultats ont montré que le fer agit tel un catalyseur pour séparer les atomes d’hydrogène les uns des autres (normalement, l’hydrogène gazeux prend la forme d’une molécule composée de deux atomes d’hydrogène liés l’un à l’autre). Ces résultats ont été publiés en 2017 (doi:10.1016/j.ijhydene.2016.11.157).

Il est intéressant de noter que certains résultats inattendus des expériences au moyen de faisceaux de neutrons ont révélé d’autres complexités du Mg2FeH6 qui n’ont pas encore été élucidées. Par exemple, les scientifiques ont observé la présence d’une phase ferreuse particulière qui semble être un sous-produit de la formation du Mg2FeH6. Habituellement, cette phase ferreuse ne se forme qu’à des températures supérieures à 900 °C, mais elle a été détectée lors de la synthèse à température ambiante du Mg2FeH6.

Aujourd’hui, Huot et Lang poursuivent leur collaboration afin de mieux cerner les complexités du Mg2FeH6 et d’autres hydrures métalliques. Au bout du compte, même si le Mg2FeH6 se révèle inapte au stockage de l’hydrogène, les connaissances acquises grâce aux recherches réalisées au moyen de faisceaux de neutrons pourraient mener à la découverte d’un autre hydrure métallique doté des caractéristiques idéales pour constituer le fondement des systèmes de transport alimentés à l’hydrogène, sûrs et durables, de demain.

Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.

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