Cette série d’articles examine les retombées d’une filière de recherche utilisant des faisceaux de neutrons qui s’est avérée particulièrement utile pour l’industrie nucléaire canadienne, notamment pour éclairer les évaluations de sûreté, appuyer un projet d’exportation de plusieurs milliards de dollars, minimiser les temps d’arrêt, éclairer la gestion de la durée de vie et, enfin, résoudre le problème de fissuration à long terme[1]. Paul Spekkens, vice-président du développement scientifique et technologique d’Ontario Power Generation de 2004 à 2016, aujourd’hui à la retraite, s’est récemment exprimé sur ces travaux de recherche :
« Les recherches réalisées au moyen de faisceaux de neutrons ont permis d’acquérir des connaissances essentielles dont avaient besoin les exploitants de centrales recourant à la technologie CANDUTM, au Canada et à l’étranger. La présence de fissures dans les conduites d’alimentation de certaines centrales canadiennes a entraîné la nécessité d’inspecter les conduites d’alimentation de l’ensemble du parc de CANDUTM, ce qui s’est traduit par des temps d’arrêt supplémentaires et une radioexposition accrue liés aux inspections continues des conduites d’alimentation. Les analyses des contraintes résiduelles au moyen de faisceaux de neutrons ont permis de cerner les pratiques de fabrication à l’origine de conduites sujettes à la fissuration, ainsi que l’endroit où se trouveraient les fissures dans les conduites. Cela a permis aux agents d’inspection de concentrer leurs efforts et, dans certains cas, d’éliminer le besoin d’inspection ou d’en réduire la fréquence. »
« Ces résultats se sont traduits par plusieurs avantages pour le public : la radioexposition des agents d’inspection a été considérablement réduite par la minimisation du temps passé à proximité de la face du réacteur. Les temps d’arrêt de la centrale ont été réduits tout en maintenant les marges de sécurité, ce qui a permis la réalisation d’économies. Les services publics d’électricité d’autres pays qui utilisent la technologie canadienne ont reçu les données nécessaires à l’exploitation sécuritaire, fiable et économique de leurs centrales, ce qui a renforcé les relations de coopération au sein de l’industrie des réacteurs CANDU. »
Partie 1 : Réagir aux fissures dans les conduites d’alimentation à Point Lepreau
Partie 2 : Gérer le risque de fissuration des conduites d’alimentation à Point Lepreau
Sommaire
Deux fuites inattendues dans des coudes de conduites d’alimentation de la centrale nucléaire de Point Lepreau ont entraîné des arrêts coûteux et ont eu des répercussions sur l’ensemble de l’industrie nucléaire canadienne. La Société d’Énergie du Nouveau-Brunswick (Énergie NB) devait comprendre les causes sous-jacentes de ces fuites pour garantir la sécurité de la poursuite de l’exploitation.
Le Centre canadien de faisceaux de neutrons (CCFN) a joué un rôle déterminant dans l’analyse des défaillances, en démontrant que les contraintes liées à la procédure de fabrication constituaient un facteur majeur de l’apparition des fissures. Par la suite, l’industrie a mis en commun des fonds par l’entremise du Groupe des propriétaires de CANDU (GPC) en vue d’étudier le mécanisme de fissuration, d’assurer la sûreté en vue du renouvellement de permis et de déterminer comment gérer la portée des programmes d’inspection continue des conduites d’alimentation. Le programme du GPC a soutenu d’importantes activités de recherche visant à mieux comprendre le rôle des contraintes et à cerner les coudes des conduites d’alimentation les plus susceptibles d’être touchés. De 2001 à 2008, et plus récemment en 2011, ces études ont tiré parti des capacités de balayage neutronique des contraintes du CCFN pour déterminer la distribution et l’ampleur des contraintes résiduelles dans divers coudes de conduites d’alimentation.
Les analyses préliminaires des défaillances et les dix années de recherche et d’expérience opérationnelle subséquentes ont permis de nombreuses retombées positives pour l’industrie, notamment : éclairer les évaluations de sûreté, appuyer un projet d’exportation de plusieurs milliards de dollars, minimiser les temps d’arrêt, éclairer la gestion de la durée de vie et, enfin, résoudre le problème de fissuration à long terme. Voici le résumé de ces retombées :
- Après les deux arrêts forcés de la centrale nucléaire de Point Lepreau en 1997 et en 2001, dont le coût s’est chiffré à plus de 50 millions de dollars, Énergie NB a pu garantir à l’organisme de réglementation qu’il était possible de redémarrer la centrale en toute sécurité, permettant d’éviter d’autres coûts liés à des arrêts imprévus dans le cadre de ces incidents;
- EACL a pu garantir à la Société nucléaire nationale de la Chine qu’elle pouvait poursuivre la construction de deux réacteurs à Qinshan, au coût de 4 milliards de dollars, en démontrant que les problèmes survenus à la centrale nucléaire de Point Lepreau ne pouvaient pas se produire dans ses réacteurs, évitant ainsi la perspective de modifications coûteuses à la conception, à mi-parcours de la construction;
- Toutes les centrales nucléaires canadiennes ont pu garantir à la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) qu’il était possible de gérer les problèmes de fissures des conduites d’alimentation. Si la remise en état du parc d’Ontario Power Generation (OPG) - prévue pour 2016 - avait commencé dix ans plus tôt en vue du remplacement des conduites d’alimentation, comme le proposaient les intervenants aux audiences sur le renouvellement de permis, la valeur perdue en matière de durée de vie de ces réacteurs s’élèverait à des milliards de dollars;
- Énergie NB a pu prendre en toute confiance des décisions clés au sujet de l’échéancier d’un projet de remise à neuf de 1 milliard de dollars de la centrale nucléaire de Point Lepreau et d’activités de 5 millions de dollars par année pour gérer la fissuration. Ces dernières décisions consistaient à 1) ne pas investir 10 millions de dollars dans un programme de R et D de prévention des fissures, 2) poursuivre un programme d’inspection rigoureux, 3) déterminer où concentrer les ressources d’inspection limitées, après avoir déterminé les endroits les plus à risque de fissures, et 4) obtenir d’importantes ressources pour être prêt à réparer les fissures découvertes au cours des inspections. La stratégie d’Énergie NB a permis d’éviter d’autres temps d’arrêt non planifiés;
- OPG a été en mesure de proposer avec succès une approche novatrice pour répondre aux exigences réglementaires en matière de gestion du risque de fissures. Cette approche, fondée sur une meilleure capacité de détection des fuites, est devenue une exigence d’autorisation de la CCSN pour les nouveaux réacteurs de puissance;
- Une entreprise de services de soudage a conçu une nouvelle technologie pour effectuer des réparations dans des espaces restreints, comme autour des conduites d’alimentation, et offre maintenant de l’utiliser dans des applications commerciales;
- Des mesures neutroniques des contraintes ont permis de qualifier de meilleurs matériaux et de meilleures méthodes d’entretien, ce qui permet de conclure avec une grande certitude qu’il est peu probable que des fissures dans les conduites d’alimentation du type de celles observées à la centrale nucléaire de Point Lepreau apparaissent dans de nouveaux réacteurs ou dans des réacteurs existants après le remplacement des conduites d’alimentation dans le cadre des remises à neuf planifiées;
- Dans l’intervalle, la sûreté est assurée par l’adoption de lignes directrices normalisées relatives à l’aptitude fonctionnelle des conduites d’alimentation, désormais en vigueur dans l’ensemble de l’industrie;
- Ces lignes directrices ont permis aux centrales de maintenir la portée des programmes d’inspection à des niveaux gérables, et ainsi d’économiser du temps et des ressources pendant les arrêts et de minimiser les temps d’arrêt et la radioexposition des agents d’inspection.
La disponibilité de faisceaux de neutrons au CCFN pour l’obtention facile et non destructive de données sur les contraintes s’est révélée extrêmement bénéfique dans l’ensemble de l’industrie en vue de démontrer la sûreté, de rassurer les clients étrangers et de garantir une exploitation fiable tout en réduisant la radioexposition du personnel. Si de nombreuses autres études et méthodes de recherche ont contribué à ces retombées, les données de contrainte fournies par le CCFN ont joué un rôle essentiel. On estime que la valeur pour le Canada des résultats de ce seul axe de recherche est de l’ordre de centaines de millions de dollars, soit plus que tous les investissements directs du Canada dans le laboratoire de faisceaux de neutrons de Chalk River depuis les débuts de la diffusion de neutrons dans cet établissement dans les années 1950.
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Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.