Les années 1980 et 1990 ont été marquées par des transformations spectaculaires dans le domaine des ordinateurs personnels. Toutefois, cette évolution s’est considérablement ralentie ces dernières années. En effet, bien que les ordinateurs personnels soient plus petits et plus utiles que jamais, leur puissance de traitement n’a pas beaucoup changé.
« Les processeurs informatiques à base de silicium sont désormais une technologie mature. Afin de réaliser de nouvelles percées en matière de puissance de traitement, de nouveaux matériaux adéquats doivent être identifiés »
Un certain nombre de facteurs économiques et scientifiques limitent les progrès des processeurs informatiques à base de silicium. Par exemple, l’absence d’amélioration en matière de régulation de la chaleur générée par les puces des processeurs a limité leur vitesse de traitement depuis 2004. En outre, la recherche constante de transistors de plus en plus petits devient difficile et coûteuse.
Si le coût de fabrication de composants plus petits peut un jour être minimisé grâce aux progrès technologiques, c’est un obstacle fondamental qui sera ainsi surmonté. En effet, les processeurs informatiques actuels comprennent déjà des composants minuscules, dont certains ne mesurent qu’environ 50 atomes (soit 14 nanomètres) de diamètre. Toutefois, lorsque les composants mesurent environ 10 atomes, leurs électrons commencent à agir différemment, conformément aux lois de la mécanique quantique. Ainsi, même si des composants ultraminces étaient développés, les processeurs ne fonctionneraient plus.
Si l’on peut encore s’attendre à des améliorations par rapport aux processeurs à base de silicium, ces percées majeures nécessiteront des technologies nouvelles et basées sur des matériaux différents. C’est pourquoi, en Australie, des scientifiques de l’Australian Nuclear Science and Technology Organisation (ANSTO) et de l’Université Macquarie, étudient de nouveaux matériaux susceptibles de résoudre le problème de la chaleur tout en offrant une puissance de calcul encore plus importante. Pour ces chercheurs australiens, cela signifie qu’il faut identifier des matériaux propices à l’électronique de spin.
« L’électronique de spin, ou ‘spintronique’, permet de maximiser les performances dans le même espace minuscule, car les dispositifs spintroniques codent l’information en utilisant le spin de l’électron ainsi que sa charge », explique le Dr Frank Klose. Comme il l’explique ensuite, « Les spins d’électrons existent dans l’un des deux états, soit ‘haut’, soit ‘bas’; tout comme les transistors, qui ont deux états, soit ‘allumé’, soit ‘éteint’ ».
« Les premiers dispositifs spintroniques destinés à des applications de stockage de données spécialisées sont déjà sur le marché », ajoute le Dr. David Cortie, chercheur postdoctoral à l’ANSTO. « Les scientifiques ont étudié les propriétés de milliers de matériaux en vue du développement spintronique des puces de processeur. »
Pour les puces de processeur, les « propriétés adéquates » comprennent à la fois des propriétés semi-conductrices (comme pour le silicium) et un magnétisme puissant pour le stockage de l’état de spin des électrons. L’identification du matériau idéal pour cette combinaison s’est toutefois révélée difficile.
L’ANSTO s’est concentré sur une famille de matériaux appelés « nitrures de terres rares ». Bien que les composés de terres rares soient parmi les meilleurs aimants, ils sont difficiles à étudier car ils ne sont pas stables dans l’air ni disponibles en vrac. Ainsi, les chercheurs ont dû créer un film extrêmement fin de nitrures de terres rares (similaire à celui qui pourrait être utilisé dans de minuscules circuits) et trouver un moyen de protéger ce film de l’air.
Pour ce faire, ils se sont tournés vers leurs collaborateurs de l’Université Macquarie, spécialisés dans la synthèse de ces nitrures exotiques. Les chercheurs de l’Université Macquarie, dirigés par James Downes, a mis au point une méthode permettant de créer des films minces de ces matériaux sur un substrat d’aluminium tout en les protégeant de l’air par une couche de zircone.
L’équipe de l’ANSTO s’est ensuite rendue au Centre canadien de faisceaux de neutrons (CCFN) pour étudier le film à l’aide d’une méthode appelée la « réflectométrie neutronique polarisée ». Cette technique très précise a permis aux chercheurs d’obtenir des données chimiques et magnétiques sensibles à la profondeur avec une précision de l’ordre du nanomètre, tout en maintenant les échantillons de nitrure de terres rares aux basses températures requises et à des champs magnétiques allant jusqu’à trois teslas. Cela n’était pas possible sur les réflectomètres d’autres installations de faisceaux de neutrons.
Des champs magnétiques aussi élevés étaient nécessaires pour amener le système à saturation (c’est-à-dire pour que tous les petits aimants à l’intérieur du film pointent dans la même direction). Sans cet alignement parfait, la force réelle des petits aimants n’aurait pas pu être mesurée avec précision. « La possibilité d’effectuer des mesures dans ces conditions extrêmes a été déterminante pour les résultats scientifiques », explique le Dr. Helmut Fritzsche, un scientifique de CNBC qui a collaboré avec l’équipe de l’ANSTO pour assurer le succès de l’expérience.
Ces expériences ont permis à l’équipe de faire trois constatations. Tout d’abord, ils ont vérifié que les films étaient homogènes, c’est-à-dire que la couche de recouvrement préserve l’intégrité des films de nitrure de terre rare.
Deuxièmement, ils ont vérifié que les films étaient des aimants intrinsèques, ce qui implique qu’ils conservent leurs propriétés magnétiques à des échelles très réduites, jusqu’à quelques atomes. C’est un avantage par rapport aux matériaux qui doivent être dopés (c’est-à-dire les matériaux qui nécessitent que l’on ajoute des éléments pour en modifier les propriétés chimiques), car ceux-ci reposent sur des effets produits par la moyenne de nombreux atomes, ce qui limite la possibilité de les rétrécir.
Troisièmement, et c’est peut-être le point le plus intéressant, ils ont constaté que la force magnétique des films de nitrure de terres rares était inférieure de deux tiers à celle prévue par les calculs théoriques. Cette découverte, publiée en 2014, a incité d’autres chercheurs à chercher des explications, et certaines idées à ce sujet ont déjà été publiées. « Cet écart montre que ces matériaux recèlent plus de secrets que nous ne le pensions », explique M. Cortie, qui, au moment des expériences, travaillait avec l’équipe de l’ANSTO en tant qu’étudiant diplômé de l’université australienne de Wollongong. « Même avec seulement 30 % de la magnétisation attendue, ils pourraient encore se révéler très utiles ».
Ces matériaux ont une limite notable : ils nécessitent des températures extrêmement froides. Des trois nitrures de terres rares étudiés, le plus « chaud » est le nitrure de dysprosium (DyN), qui a dû être refroidi à -230 °C pour obtenir la propriété magnétique nécessaire à la spintronique.
Les températures glaciales n’ont cependant pas découragé ces intrépides explorateurs. « À ce stade, nous faisons de la science fondamentale », explique M. Klose. « Ces matériaux doivent être étudiés dans leur forme la plus fondamentale avant que l’on puisse comprendre leurs formes plus compliquées. »
Bien que les composés de terres rares commencent à peine à être explorés pour des applications informatiques, il existe pourtant déjà des exemples d’augmentation des températures critiques de plus de 100 °C par alliage.
« Un jour, nous pourrons obtenir les propriétés souhaitées à température ambiante de ces matériaux afin de fabriquer des ordinateurs portables plus puissants », explique M. Cortie. « Or,même si ce n’est pas le cas, on pourrait imaginer un avenir où votre ordinateur portable se connecterait de manière transparente à des superordinateurs centralisés dans des installations en milieu ultra-froid, comme c’est le cas aujourd’hui avec l’informatique en nuage. »
DOI: 10.1103/PhysRevB.89.064424
Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.