Développer des transports plus efficaces sur le plan énergétique est une priorité mondiale, qui a été mise en évidence dans Mission Innovation, un engagement pris par plus de 20 pays de doubler les dépenses consacrées à la recherche sur les énergies propres afin d'atteindre les objectifs fixés dans l'accord de Paris de 2015 sur le changement climatique.
Le transport aérien est un domaine qui présente un grand potentiel d'économies d'énergie. « Rendre les moteurs d'avion un pour cent plus efficace permettrait d'éviter 500 à 1000 tonnes de dioxyde de carbone par avion chaque année », explique Katerina Christofidou, chercheuse postdoctorale au centre technologique universitaire Rolls Royce de l'Université de Cambridge, au Royaume-Uni. « C'est comme si l'on retirait 100 à 200 voitures des routes pour chaque avion doté d'un meilleur moteur. »
Depuis 2000, Rolls Royce a amélioré l'efficacité de ses moteurs à réaction de plus de 10 %. Elle vise une amélioration de plus de 20 % d'ici à 2025, ce qui serait tout à fait conforme à l'objectif de l'industrie du transport aérien de devenir 30 % plus efficace sur le plan énergétique d'ici à 2050.
L'un des moyens d'améliorer l'efficacité d'un moteur à réaction est d'augmenter sa température de fonctionnement. Les lois de la thermodynamique nous disent que plus la température de l'air entrant dans la turbine d'un moteur à réaction est élevée, plus le moteur est efficace. Toutefois, le manque de matériaux commercialement viables capables de résister à une chaleur extrême au fil du temps est un obstacle majeur qui empêche l'industrie d'atteindre des températures de fonctionnement plus élevées.
Outre l'amélioration de l'efficacité des moteurs, la disponibilité de ces matériaux aiderait les compagnies aériennes à mieux répondre aux exigences opérationnelles du secteur du transport aérien. En effet, les aéroports très fréquentés encouragent les vols au départ à monter rapidement jusqu'à l'altitude de croisière afin de libérer le passage pour les autres vols. Et plus un avion atteint rapidement son altitude de croisière, moins il consomme de carburant. Cependant, ces montées en flèche obligent les moteurs à fonctionner à des températures maximales pendant des périodes plus longues, ce qui peut limiter la durée de vie de certains composants du moteur (par exemple, les disques du rotor, qui maintiennent les pales de la turbine).
« Le nouveau matériau offrira un meilleur équilibre des propriétés nécessaires jusqu'à 800 °C, notamment la résistance mécanique et la résistance à la formation de fissures, à la déformation et aux dommages environnementaux ».
L'industrie du transport aérien est donc incitée, tant sur le plan environnemental que sur le plan opérationnel, à investir dans la recherche pour développer de nouveaux matériaux capables de mieux résister à des températures plus élevées. Une telle avancée ne serait pas une mince affaire, car les températures de fonctionnement des turbines des moteurs à réaction actuels atteignent déjà 1300 °C. Même l'air qui entoure les disques du rotor et refroidit les pales de la turbine est souvent compris entre 650 °C et 700 °C. Pour augmenter la température de fonctionnement du moteur à l'avenir, l'industrie prévoit un besoin de disques de rotor fabriqués dans des matériaux avancés qui peuvent résister à des températures encore plus élevées (c'est-à-dire lorsque l'air de refroidissement se situe entre 700 °C et 800 °C) pendant de longues périodes.
Rolls Royce a récemment fait appel à Mme Christofidou et à son directeur de thèse, le professeur Howard Stone, de l'Université de Cambridge, pour son aide dans le développement d'un matériau présentant les propriétés requises. Dans le cadre de cette recherche, cofinancée et co supervisée par Rolls Royce, Mme Christofidou a étudié comment des modifications progressives de la composition chimique des alliages à base de nickel utilisés aujourd'hui dans les disques de rotor pourraient augmenter la température de fonctionnement sûre des composants.
L'une de ses études a utilisé plusieurs techniques expérimentales pour examiner les alliages à base de nickel avec 27 variations chimiques afin d'identifier les candidats les plus prometteurs. Elle a constaté que les structures microscopiques de ces échantillons d'alliage étaient constituées de deux « phases » distinctes (c'est-à-dire des parties d'un matériau dont toutes les propriétés physiques sont identiques parce que la composition chimique et la configuration spatiale tridimensionnelle des atomes restent constantes).
Les deux phases des alliages de Mme Christofidou avaient des compositions chimiques différentes, mais des motifs spatiaux presque identiques, l'un d'entre eux étant une version légèrement réduite de l'autre. Comme seuls les faisceaux de neutrons peuvent mesurer cette différence de taille, elle s'est rendue au Centre canadien de faisceaux de neutrons (CNBC) en 2014 et 2015 pour déterminer l'écart de taille exact entre les motifs spatiaux des deux phases pour chaque alliage. Les résultats, publiés en 2016, ont montré que les alliages présentant la plus grande différence de taille de motif étaient également les plus résistants. Ces résultats ont permis de mieux comprendre comment la composition chimique affecte les propriétés souhaitées des alliages à base de nickel.
L'équipe de recherche du professeur Stone a depuis introduit les données dans des modèles informatiques prédictifs afin d'identifier d'autres changements progressifs susceptibles de conduire à de nouvelles améliorations. Ces données ont notamment permis à Rolls Royce de prendre la décision de fabriquer, d'étudier et de déposer une demande de brevet pour un nouveau matériau. Rolls-Royce indique que ce nouveau matériau devrait offrir un meilleur équilibre des propriétés (par exemple, la résistance mécanique et la résistance à la formation de fissures, à la déformation et aux dommages environnementaux) à des températures de service élevées (c'est-à-dire jusqu'à 800 °C) par rapport aux alliages existants.
Aujourd'hui, Mme Christofidou poursuit ses recherches sur les alliages à base de nickel et est désormais entièrement financée par Rolls-Royce. Elle prévoit de retourner au CNBC pour examiner d'autres échantillons d'alliages à des températures de fonctionnement réalistes afin d'obtenir des informations supplémentaires nécessaires pour affiner leurs performances.
DOI: 10.1016/j.jallcom.2016.07.159
Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.