L’un des principaux avantages des réacteurs CANDU est qu’ils ne nécessitent pas de combustible enrichi pour fonctionner. En effet, le modèle CANDU utilise de l’eau lourde, ce qui permet d’utiliser de l’uranium naturel (c.-à-d. non enrichi) comme combustible.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, alors que les autres pays fournisseurs d’énergie nucléaire se concentraient sur les réacteurs à eau légère (qui dépendent d’un combustible enrichi), le Canada a développé sa technologie à eau lourde. Aujourd’hui, plusieurs CANDU sont exploités à l’étranger et un parc de réacteurs à eau lourde de type CANDU se trouve en Inde. Le Canada demeure un chef de file dans le domaine de la science nécessaire à l’exploitation en toute sécurité des composants de réacteurs exposés à l’eau lourde.
Dans certains cas, il existe de bonnes raisons de penser que l’eau lourde se comporte de la même manière que l’eau légère au sein d’un réacteur. Le Canada a donc pu s’appuyer sur certaines des connaissances scientifiques générées par l’industrie des réacteurs à eau légère pour développer sa propre technologie à eau lourde. Un bon exemple en est la science qui informe sur les attentes en matière de durée de vie des composants d’un réacteur, tels que pour les tubes de l’échangeur de chaleur dans le générateur de vapeur d’un réacteur. Ces tubes, constitués d’un alliage de nickel et de chrome, transforment l’eau en vapeur en utilisant la chaleur produite dans le cœur du réacteur.
Les prévisions de durée de vie des tubes de l’échangeur de chaleur indiquent aux exploitants nucléaires le moment auquel ces composants critiques doivent être entretenus ou remplacés pour éviter l’érosion de la marge de sécurité du réacteur. On estime que la vitesse de corrosion des tubes de l’échangeur de chaleur est identique qu’il y ait de l’eau légère ou de l’eau lourde. Par conséquent, les prévisions de durée de vie de ces tubes dans les réacteurs à eau lourde reposent sur des données issues d’études utilisant de l’eau légère.
« Mais le comportement de la corrosion pourrait-il être différent dans l’eau lourde et dans l’eau légère ? » s’interroge Hung (Harry) Ha, chercheur aux Laboratoires nucléaires canadiens (LNC) à Chalk River, au Canada. « Pourquoi ne pas l’étudier dans l’eau lourde, pour s’en assurer ? ». Une telle attitude de remise en question conduit souvent à des avancées scientifiques, ainsi qu’à des améliorations de la culture de la sécurité.
C’est pourquoi, dans le cadre d’un projet initié par les CNL, Ha a examiné le comportement du nickel dans l’eau lourde. Le nickel possède notamment de très bonnes propriétés de résistance à la corrosion, car il réagit avec l’oxygène de l’eau pour créer des films d’oxyde protecteurs à sa surface. En outre, ces films protecteurs s’épaississent dans des conditions difficiles et corrosives, ce qui renforce la protection du matériau. « C’est comme lorsque la température extérieure refroidit, vous mettez un manteau plus épais », explique Ha. « Il agit pour sa propre défense. »
En utilisant des faisceaux de neutrons au réacteur NRU de Chalk River, Ha a cherché à déterminer si les films protecteurs sur le nickel pur se comportent de la même manière dans l’eau lourde et dans l’eau légère. Il a notamment utilisé la réflectométrie neutronique pour déterminer l’épaisseur exacte des couches des films, qui peuvent être extrêmement fines (moins d’un nanomètre d’épaisseur). La présence d’eau lourde dans ces expériences a en fait facilité la détection des films protecteurs en améliorant le contraste entre les films et l’eau environnante.
L’un des avantages de l’observation des neutrons étant qu’elle peut se faire en temps réel et dans des conditions réalistes, l’expérience de Ha a permis de reproduire les conditions rencontrées dans les tubes de l’échangeur de chaleur des réacteurs à eau lourde. Plus précisément, des tensions ont été appliquées pour simuler la gamme des conditions légères à sévères auxquelles le nickel pourrait être confronté en fonctionnement.
Les expériences ont confirmé que les films protecteurs sur le nickel pur se comportaient de la même manière dans l’eau lourde que dans l’eau légère, ce qui renforce la confiance dans l’exactitude des prévisions de durée de vie des tubes de l’échangeur de chaleur dans les réacteurs à eau lourde. Les résultats ont été publiés en 2017 dans le Journal of the Electrochemical Society (doi:10.1149/2.0171713jes).
Aujourd’hui, Ha étend son étude aux alliages nickel-chrome et fer-nickel-chrome. Les résultats de l’expérience sur le nickel pur serviront de référence pour l’interprétation de ces autres expériences, qui visent à déterminer si le comportement des films protecteurs sur ces alliages de nickel diffère dans des conditions d’eau lourde par rapport à des conditions d’eau légère.
Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.