« Les scientifiques ont lutté pendant des décennies pour déterminer le rôle que joue la vitamine E dans la santé humaine. »
Les scientifiques débattent de la fonction moléculaire de la vitamine E depuis des décennies. Les tests cliniques sur les suppléments de vitamine E n’ont pas encore montré de bénéfice net pour la santé et, en fait, certaines études suggèrent qu’une consommation excessive a des effets négatifs.
Le rôle exact qu’elle joue dans la santé humaine reste inconnu, en grande partie parce que cette vitamine est difficile à observer en action. Par conséquent, les études ont souvent été peu concluantes ou ont produit des résultats contradictoires.
Nous savons que la vitamine E est essentielle à la santé humaine. En effet, en l’absence d’une quantité de base, les personnes développent des troubles de carence. Heureusement, comme notre corps accumule cette vitamine particulière pendant de longues périodes, un régime alimentaire sain fournit facilement cette quantité de base.
La sagesse populaire suggère que la vitamine E pourrait jouer le même rôle de « conservateur » dans le corps humain en protégeant les parties huileuses des membranes cellulaires. Étant donné que la détérioration des membranes au fil du temps peut entraîner diverses affections liées à l’âge, les chercheurs ont longtemps cherché des preuves que les suppléments de vitamine E pouvaient réduire certains effets du vieillissement. Cependant, le manque de succès dans la recherche de telles preuves, combiné au doute quant à la capacité de la vitamine E à agir efficacement en tant qu’antioxydant aux faibles concentrations trouvées dans le corps humain, a conduit certains scientifiques à examiner de plus près cette sagesse conventionnelle.
Nous savons également que la vitamine E est un conservateur efficace pour de nombreuses substances huileuses que nous rencontrons tous les jours. Il est souvent ajouté aux shampooings, aux lotions et même aux aliments transformés pour augmenter leur durée de conservation. Dans ces applications, il agit comme un antioxydant qui protège les molécules huileuses des dommages causés par des molécules instables appelées « radicaux libres ». Les radicaux libres attaquent les molécules d’huile et finissent par les décomposer. C’est le même processus qui fait qu’un filet de poisson sent le rance peu après sa date de péremption.
Le professeur Thad Harroun est l’un de ces scientifiques. Afin de déterminer la fonction réelle de la vitamine E dans le corps humain, M. Harroun et son équipe de recherche de l’université Brock ont accédé aux lignes de faisceaux de neutrons du Centre canadien de faisceaux de neutrons (CCFN). Plus précisément, les chercheurs voulaient voir, au niveau moléculaire, comment la vitamine E interagit avec la bicouche lipidique d’une cellule (la structure qui forme la membrane cellulaire et constitue une barrière protectrice autour des cellules des organismes vivants). La diffraction des neutrons a permis de comprendre l’emplacement et l’orientation des molécules de vitamine E dans la bicouche lipidique avec une précision au niveau moléculaire, ce que peu d’autres techniques peuvent reproduire dans un environnement membranaire.
« L’équipe du professeur Harroun a trouvé des preuves solides que la vitamine E agit comme un antioxydant. Il est bien positionné près de la surface de la membrane pour agir comme une première ligne de défense »
Après avoir neutralisé un radical libre, une molécule de vitamine E est chimiquement modifiée. Une fois de plus, son positionnement près de la surface joue un rôle bénéfique, le rendant facilement disponible pour d’autres molécules à l’extérieur de la membrane (par exemple, la vitamine C) pour le recycler dans sa forme originale afin qu’il puisse défendre la membrane à nouveau. « C’est un système très efficace, observe M. Harroun, et c’est pourquoi il peut être efficace même si notre corps ne retient dans nos membranes qu’une petite partie de la vitamine E que nous consommons ».
Après avoir collaboré avec d’autres groupes de recherche au Canada et aux États-Unis pour comparer les résultats d’expériences complémentaires et de simulations informatiques, l’équipe de M. Harroun a publié en 2013 une étude qui a fait date et qui a apporté des preuves solides de l’existence d’un mécanisme antioxydant dans la vitamine E. Plus précisément, ils ont découvert que la vitamine E est bien placée pour agir comme première ligne de défense contre les radicaux libres, notamment parce que la partie de la molécule de vitamine E qui attaque les radicaux libres est située près de la surface de la membrane cellulaire. Ce positionnement le rend particulièrement efficace pour neutraliser les radicaux libres, qui proviennent de l’extérieur de la membrane.
L'équipe d'Harroun a également fait la lumière sur les raisons pour lesquelles d'autres études sur la vitamine E ont donné des résultats contradictoires. En 2014, l'équipe a publié un article qui examinait la vitamine E dans un système de bicouche lipidique connu sous le nom de « DMPC », utilisé depuis des décennies par les biophysiciens pour étudier le rôle de la vitamine E dans l'organisme. Cependant, l'équipe d'Harroun a constaté que le système DMPC ne reproduisait pas de manière adéquate les membranes des cellules vivantes pour l'étude de la vitamine E. En fait, dans ces bicouches, cette vitamine se trouve au centre de la bicouche, au lieu d'être proche de la surface.
« Cette découverte explique des années d'observations contradictoires et inexplicables sur le comportement de la vitamine E dans les bicouches DMPC », explique M. Harroun.
D'autres résultats obtenus par l'équipe ont renforcé les arguments en faveur du rôle antioxydant de la vitamine E. Par exemple, un article de 2015 a examiné la vitamine E dans plusieurs types de bicouches lipidiques, car les membranes entourant les différents types de cellules (par exemple, dans les cellules cérébrales, sanguines et musculaires) sont toutes légèrement différentes. L'équipe d'Harroun a notamment constaté que la vitamine E se trouvait près de la surface des membranes dans tous les cas examinés, ce qui apporte une preuve moléculaire supplémentaire du rôle de la vitamine E en tant qu'antioxydant efficace.
Cette efficacité signifie notamment que la quantité de vitamine E présente dans un régime alimentaire sain est suffisante pour protéger les bicouches lipidiques des membranes cellulaires. En effet, prendre plus de vitamine E n'inversera pas les dommages causés à l'intérieur des membranes cellulaires, d'autant plus que les preuves moléculaires suggèrent que la vitamine E ne passe pas beaucoup de temps à l'intérieur des membranes.
« Nous disons que la sagesse conventionnelle est correcte. La vitamine E est un antioxydant, mais ce n'est pas plus que cela », met en garde M. Harroun. « La vitamine E aide à protéger les oméga-3 et les oméga-6 que nous devrions consommer, mais il n'existe aucune preuve moléculaire qu'elle prévient le cancer ou les maladies cardiaques ».
Cet article de recherche a été republié avec l’autorisation de l’Institut canadien de diffusion des neutrons.